1948

La IV° Internationale et la partition de la Palestine...
Source : La Vérité, n°219, 18 juin 1948

Pierre Frank

Les événements de Palestine

Juin 1948

Six armées : juive, égyptienne, transjordanienne, irakienne, syrienne et libanaise se sont combattues en Palestine. Pourquoi ?

Les Juifs pensent mettre un terme à leurs souffrances de par le monde en possédant leur propre État. Ce point de vue est approuvé en France, de Soustelle et Torrès du R.P.F, aux staliniens en passant par Rémy Roure, du Monde, par la social-démocratie et le R.D.R.

C’est du point de vue du progrès de la révolution mondiale et du socialisme que nous envisageons les événements de Palestine.

On sait que le Moyen-Orient, après avoir été libéré du joug de l’ancienne Turquie des sultans, a été contrôlé par l’impérialisme anglais, directement ou indirectement. À l’aide de chefs féodaux arabes (à l’exception de la Syrie et du Liban que dominait jusqu’à tout récemment l’impérialisme français). Pour l’impérialisme anglais, cette région était d’une importance extrême à plusieurs points de vue : elle se trouve sur les routes qui mènent aux Indes, commande le canal de Suez et renferme de très riches gisements de pétrole. La domination anglaise – là, comme ailleurs – s’exerçait d’autant plus aisément qu’elle jouait sur les rivalités entre peuples. Pendant la première guerre mondiale, en même temps que le colonel Lawrence faisait miroiter aux chefs arabes la promesse d’un empire arabe, le ministre Balfour promettait aux Juifs la création d’un foyer national juif en Palestine.

La deuxième guerre mondiale a accéléré le déclin de l’impérialisme anglais et celui-ci ne peut plus dominer, comme avant, le Moyen-Orient où se manifeste de plus en plus fortement la pression des États-Unis. Ceux-ci qui, en 1940, n’avaient pratiquement aucune représentation consulaire entre Le Caire et Bagdad, sont en train d’avancer à grands pas dans un pays riche en pétrole. L’Anglo-Iranian Oil a cédé une forte partie de ses actions aux compagnies américaines : la Standard Oil et la Socony Vacuum.

L’odeur du pétrole n’est pas la seule attraction du Moyen-Orient pour les États-Unis. Dans leur conflit avec l’U.R.S.S., cette région occupe une position stratégique de toute importance : elle est la voie d’accès la plus directe vers les pétroles de Bakou.

C’est dans le Moyen-Orient que s’exprime le plus clairement la rivalité entre les deux impérialismes anglo-saxons. La Grande-Bretagne occupe encore les positions les plus fortes. Elle a à sa disposition complète la Transjordanie et l’Irak. Les États-Unis ont à leur service l’Arabie séoudite, dont le roi reçoit une redevance pour chaque baril de pétrole que les Américains extraient de son territoire : ils ont aussi quelques appuis chez les Égyptiens et chez les Syriens.

C’est dans cet imbroglio international qu’il faut considérer d’une part la question du sionisme et d’autre part le conflit actuel en Palestine.

Le sionisme n’avait pas été un facteur politique jusqu’au jour où l’impérialisme anglais commença à s’en servir pour introduire dans le Moyen-Orient un élément de division supplémentaire, comme une sorte d’abcès de fixation pour prévenir toute unité du monde arabe contre l’impérialisme.

Obligé de reculer, l’impérialisme britannique a tout de suite montré ce que valait sa sollicitude envers les Juifs en les abandonnant, car, en définitive, il est impossible de contrôler le Moyen-Orient contre les Arabes. Le sionisme s’est retourné du côté de l’impérialisme américain, et celui-ci, à la recherche pour l’instant de points d’appui plus nombreux dans cette partie du monde, s’est institué le défenseur des Juifs en Palestine. Dans cette région, l’impérialisme américain est guidé par des considérations analogues à celles de l’impérialisme anglais, avec la seule différence qu’il cherche à avoir une plus grande part. C’est pourquoi il faut s’attendre en Palestine à une solution de compromis qui sera très instable et qui sera suivie à plus ou moins brève échéance par toute une série de conflits partiels, de guérillas entre Juifs et Arabes et entre Arabes eux-mêmes.


Le sionisme n’a été, depuis qu’il est devenu un facteur politique, qu’un instrument des impérialismes. Il a cependant trouvé des défenseurs dans le monde ouvrier, pour deux raisons principales. Certains vantent les « réalisations juives » en Palestine ; d’autres présentent la création d’un État juif comme une première étape vers la solution de la question juive rendue si aiguë par le déclin du capitalisme et l’antisémitisme qu’il fait proliférer.

Accepter le premier argument, c’est accepter le colonialisme. Car les « réalisations juives » sont celles de capitaux d’origine anglaise ou américaine. En Palestine, l’économie juive, alimentée de l’extérieur, constitue une économie complètement fermée. Les travailleurs juifs immigrés en Palestine y ont joué, par rapport aux masses arabes, un rôle assez semblable à celui des travailleurs blancs dans les colonies, c’est-à-dire que, tout en étant exploités eux-mêmes, leur fonction principale consistait à aider la domination de l’impérialisme anglais. Le colonialisme s’affuble toujours, pour se justifier, d’un manteau humanitaire. Faut-il donc le croire quand il se prétend ennemi de l’antisémitisme ?

Et ici, nous en venons au second argument des partisans du sionisme. Dans l’état actuel des rapports mondiaux, la « solution sioniste » s’avèrera la plus tragique des duperies. Hier, avec Hitler, les capitalistes allemands ont détourné le mécontentement des petits bourgeois paupérisés contre les Juifs. Aujourd’hui, les capitalistes anglais, avec Churchill et Bevin en parfait accord sur ce point, abandonnent les Juifs (que l’impérialisme anglais a fait venir en Palestine) aux coups des armées arabes (entretenues, instruites et dirigées par des Anglais). Demain, en cas d’une troisième guerre mondiale, les Américains, pour avoir l’appui du monde arabe – tout particulièrement dans le Moyen-Orient – n’hésiteront pas à abandonner les Juifs de la même façon que les Anglais les ont abandonnés. Par l’entremise du sionisme, les impérialistes ont exploité les malheurs et le désespoir des Juifs pour mieux dominer le monde arabe : mais les nécessités de la politique impérialiste amèneront ces mêmes défenseurs d’Israël à abandonner les Juifs dans la trappe palestinienne, comme ils l’ont fait effectivement, dans les camps hitlériens, pendant de très longues années, sans souffler mot.


Disons quelques mots de la politique de l’U.R.S.S. Nous avons mentionné plus haut l’importance du Moyen-Orient dans un conflit entre les U.S.A. et l’U.R.S.S. La diplomatie soviétique, n’ayant pas trouvé d’écho parmi les chefs féodaux arabes, se présente aussi comme le « protecteur » des minorités. D’où sa défense des communautés chrétiennes orthodoxes de Syrie, du Liban et de Palestine. D’où aussi son soutien des Juifs, ce qui doit aussi lui permettre d’y expédier quelques milliers de Juifs polonais, lithuaniens, etc. C’est non pas une solution de la question juive qui intéresse la bureaucratie stalinienne, mais la création d’un soutien massif pour une éventuelle guerre mondiale.


Quelle position défendons-nous en face du problème juif d’une part, et en présence de la guerre en Palestine d’autre part ?

La force de la révolution dans le Moyen-Orient réside essentiellement dans les masses arabes, dans ce jeune prolétariat qui a commencé à s’affirmer dans toute une série de grèves, en Égypte notamment et dans les paysans pauvres. Le sionisme, la division de la Palestine, ne peuvent que gêner la progression du mouvement révolutionnaire dans le Moyen-Orient en permettant aux chefs féodaux de dévier le mécontentement des masses vers l’antisémitisme. (C’est particulièrement le cas du roi Farouk). C’est pourquoi nous sommes absolument opposés à toute division de la Palestine, à toute création d’un État juif.

Aux ouvriers du monde entier qui veulent aider les Juifs à sortir de la détresse dans laquelle les a plongés l’hitlérisme, nous disons :

« Ne vous faites pas complices des desseins de vos gouvernants contre les masses arabes dans le Moyen-Orient. Imposez à vos propres gouvernements le droit d’immigration des Juifs. Ceux-ci doivent pouvoir s’installer et travailler aux États-Unis, au Canada, en Angleterre, en Australie, en France, en Amérique latine, etc. La lutte contre l’antisémitisme doit être menée chez soi. »

La guerre en Palestine doit être aussi pour les masses arabes, pour les ouvriers et les fellahs, une occasion d’exploiter les difficultés de leurs maîtres, de mettre en avant leurs revendications de classe, de réclamer une législation sociale pour les ouvriers, la réforme agraire pour les paysans, une Constituante pour permettre aux masses arabes de faire connaître leurs volontés.

Dans cette guerre, à notre dénonciation du sionisme s’ajoute également la dénonciation de la Ligue arabe. Les gouvernants, les chefs féodaux qui la constituent sont aussi au service des impérialistes et espèrent en l’aide de ceux-ci pour avoir leur part de profit et pour mieux exploiter les masses ouvrières et paysannes arabes. Eux aussi cherchent à se partager la Palestine. Aux travailleurs de ces pays et à tous les travailleurs des pays arabes, depuis le Maroc jusqu’à l’Irak, nous disons que leur ennemi n’est pas le travailleur juif, qui a été réduit au désespoir, mais leurs maîtres féodaux qui se vendent et se revendent aux impérialismes. Ils doivent tirer profit de la situation actuelle pour se dresser contre leurs maîtres. La solution, dans le Moyen-Orient, pour les exploités arabes et pour les travailleurs juifs qui sont à présent en Palestine, ne réside pas dans un État de plus parmi d’autres dont aucun n’est viable et dont tous seront maniés l’un contre l’autre par les grandes puissances, mais […] les nationalités pourront se développer librement. Cette solution ne peut être obtenue que dans l’opposition la plus intransigeante à toute acceptation d’un Etat juif et que par la lutte des masses ouvrières et paysannes arabes soulevées contre les impérialismes et les chefs féodaux au service de ceux-ci.